Les Ambulants. 5 maîtres qui ont montré la vie du petit peuple


L’Association des expositions itinérantes a été fondée en 1870. Un groupe de jeunes artistes a défié l’art académique. Ce qui appelait à ne représenter que des mythes et des sujets historiques qui étaient coupés de la réalité.

De plus, cet art n’était disponible que pour quelques personnes de la noblesse et des riches marchands.

Les Ambulants voulaient amener l’art à un public plus large et divers. En organisant des expositions dans différentes villes de Russie.

Ils voulaient aussi peindre la vie des gens ordinaires. Les destins des humiliés et offensés .

Leurs sujets étaient incriminantes et dramatiques. Inégalité de classe, injustice sociale, pauvreté.

Voici les 5 artistes itinérants les plus en vue, dans les œuvres desquels la vie des pauvres nous apparaît toute nue.

1. Vassili Perov (1834-1882)

Kramskoï. Le portait du Vassili Perov
Ivan Kramskoï. Le portait du Vassili Perov. 1881. Musée Russe, Saint-Pétersbourg.

Les principaux chefs-d’œuvre de Perov ont été créés avant la formation officielle de l’Association des expositions itinérantes. Mais c’est lui qui était l’un des principaux inspirateurs et organisateurs du mouvement. Après tout, Perov, comme personne d’autre, se concentrait sur les histoires des personnes défavorisées.

Probablement, son œuvre le plus émotionnel est le tableau “Troïka”. Ceux qui ont des enfants ne peuvent pas la regarder sans amertume. Aujourd’hui ce travail des enfants nous semble sauvage, mais il y a 100 à 150 ans c’était la norme.

Le temps terrible. Il gèle. C’est une tempête de neige. Et les pauvres enfants (sans moufles!) tirent un tonneau d’eau à l’atelier.

Perov. Troïka
Vassili Perov. Troïka. Les appartis vont chercher de l’eau. 1866. Galerie Tretiakov, Moscou.

Bien sûr, ce n’est pas pour le plaisir qu’ils ont dû travailler à l’atelier. Ne pouvant pas nourrir plusieurs enfants, des parents pouvaient en donner un au service.

Les nuances de gris, blanc et beige du tableau donnent une sensation de froideur mais les visages des enfants dans un tel contexte sont clairs et vivants. Il n’y a aucun moyen pour le spectateur de ne pas les noter et apercevoir en plus la souffrance dans les yeux, dans laquelle il ne devrait y avoir qu’une joie insouciante.

Avant la “Troïka”, Perov a créé un certain nombre d’œuvres anticléricales. L’une des peintures les plus intéressantes sur ce sujet est “L’Heure du thé à Mytichtchi”

Vassili Perov. L’Heure du thé à Mytichtchi.
Vassili Perov. L’Heure du thé à Mytichtchi. 1862. Galerie Tretiakov, Moscou.

Une telle scène, aurait-elle pu se produire dans la réalité? Probablement. Imaginez, ce soldat avait déjà

été recruté au service militaire pour une vingtaine d’années. Bien sûr, de retour à la maison, il n’a pas vu ses parents, qui seraient morts en attendant. Pas de femme, pas d’enfants et une maigre pension.

Il n’a plus que la liberté de mouvement, car le paysan servant cessait d’être serf et ce qui lui restait à faire, c’est errer et mendier.

Perov était un “scénographe” de génie. Il a si bien choisi les poses et les gestes des personnages que ses sujets sont lisibles au premier coup d’œil. La maladresse du serviteur, l’humilité du soldat et l’indifférence de l’homme d’église sont compréhensibles.

2. Ilia Répine (1844-1930)

Répine. L’Autoportrait
Ilia Répine. L’Autoportrait. 1887. Galerie Tretiakov, Moscou.

Répine est officiellement devenu itinérant en 1878. Et ce n’est pas étonnant non plus. Ses “Haleurs de la Volga” à connotation sociale claire “ne lui laissaient pas le choix”.

Répine. Les Haleurs de la Volga
Ilia Répine. Les Haleurs de la Volga. 1870-1873.

Maintenant, nous sommes déconcertés par le fait qu’un employé puisse avoir l’air si pathétique: 11 personnes tirant sur la bandoulière forment une zone sombre et boueuse sur un paysage clair d’été. De plus, un navire à vapeur est visible au loin – le mécanisme qui aurait pu facilement tirer le navire au lieu des malheureux.

À l`époque, devenir haleur signifiait profiter d’une opportunité de gagner de l’argent pour des personnes jetées à l’écart de la vie, y compris des anciens marins et des paysans libérés sans terre. Après avoir travaillé une saison d’été, ils pouvaient se nourrir pour l’hiver à venir.

Une peinture moins connue de Répine est “Voyant le recrue”, qui montre très clairement l’un des moments de la vie des paysans. La famille et les voisins envoient le jeune homme au service. Répine lui-même a observé cette scène.

Ilia Répine. Voyant la recrue
Ilia Répine. Voyant la recrue. 1879. Musée Russe, Saint-Péterbourg

A cette époque, la durée du service militaire était déjà réduite de 20 ans à 6. Mais, hélas, cela ne facilitait pas le destin de la recrue. La guerre russo-turque (1877-1878) se poursuivait et les proches ne savent pas s’ils le reverraient en vie. Voilà pourquoi nous observons une telle confusion sur leurs visages. Même les enfants restent sans bouger, arrêtant les jeux et les rires.

Répine est frappant par l’ampleur de son oeuvre. Dans une seule scène il a réussi à montrer à la fois le caractère de chaque personnage et les moments clés de toute une époque.

3. Vladimir Makovski (1846-1920)

Vladimir Makovski. L’Autoportrait.
Vladimir Makovski. L’Autoportrait. 1905. Galerie Tretiakov, Moscou.

Makovski peut être qualifié de chouchou du destin. Né et elevé dans une famille aisée et créative, il avait toutes les chances de devenir un artiste de salon, comme son grand frère Konstantin Makovski.

Mais Vladimir aimait se promener à côté des hôtels miteux et au marché. Il cherchait des types brillants. Après tout, il préférait les scènes de genre, mettant au jour les difficultés des gens ordinaires. Par conséquent, ses personnages sont extrêmement véridiques et émotionnels.

Dans le tableau “Le rendez-vous”, nous voyons une mère et son fils. Le fils a été envoyé vivre et travailler à l’atelier comme apprenti. Sa mère lui rend visite, ayant acheté un rouleau en cadeau.

Vladimir Makovski. Le Rendez-vous
Vladimir Makovski. Le Rendez-vous. 1883. Galerie Tretiakov, Moscou.

Le garçon aux pieds nus enfonce avidement ses dents dans le pain. On comprend immédiatement dans quelles conditions terribles il est obligé de vivre et travailler. Sa mère le comprend, elle aussi. Tout cela se lit dans ses yeux tristes. Mais elle n’y peut rien.

La pauvreté ne lui permet pas d’emmener son fils chez elle. Y aurait-il encore une lueur d’espoir qu’un jour le fils serait capable de devenir un maître et de s’en sortir. En tout cas, le garçon n’aura pas d’enfance véritable.

Et voici une autre histoire “Sur le boulevard”. Après l’abolition du servage, une partie des paysans n’a pas pu recevoir sa parcelle de terre. Alors ils sont partis travailler dans les villes pour soutenir leurs familles.

C’est exactement ce que le jeune homme a fait. Il a trouvé un emploi de concierge et juste après un certain temps, une jeune femme est venue le voir avec un bébé. Nous les voyons ici sur un banc du boulevard Sretensky à Moscou.

Vladimir Makovski. Sur la Boulevard.
Vladimir Makovski. Sur la Boulevard. 1887. Galerie Tretiakov, Moscou.

Le mari est déjà habitué à une vie libre, par conséquent, sa femme n’est qu’un obstacle pour lui. Réalisant cela, la jeune femme est assise à côté de lui, stupéfaite, se rendant soudain compte de son malheur. Et le paysage est approprié: novembre, feuilles mortes, passants solitaires.

Les peintures de Makovski sont très littéraires. Ce sont des histoires, plutôt que des tableaux. Grâce à son oeuvre, nous comprenons la situation de vie des personnages dans son ampleur, y compris tout ce qui a précédé le moment capturé. Et ce qui les attend.

4 Sergueï Ivanov (1864-1910)

Osip Braz. Le portrait de Sergueï Ivanov.
Osip Braz. Le portrait de Sergueï Ivanov. 1903. Galerie Tretiakov, Moscou.

Après l’abolition du servage, pas tous les paysans ont obtenu du terrain qui leur permettait de se nourrir. Des millions d’entre eux ont décidé de déménager en Sibérie, sur des terres vacantes. Le principal chroniqueur de cette période difficile de leur vie était Sergei Ivanov.

Il est parti vers l’Oural avec eux. Tout d’abord, en train jusqu’à Tioumen. Puis sur des radeaux à Barnaul. Et puis à pied et en wagons jusqu’aux terrains libres.

L’ensemble du voyage a duré plusieurs mois. Le chemin est difficile et même dangereux pour la vie. 7% des colons sont morts en chemin. L’une de ces tragédies a été décrite par Ivanov.

Sergueï Ivanov. Sur la route. Mort d’un réfugié.
Sergueï Ivanov. Sur la route. Mort d’un réfugié. 1889. Galerie Tretiakov, Moscou.

Le chef de famille est décédé subitement en chemin. L’épouse s’est effondrée au sol pour pleurer son chagrin. Qu’est-ce qui l’attend? Si elle se mariait (ce qui était probable vu le manque de femmes en Sibérie), alors elle aurait une chance de survivre. Sinon, son destin est la mendicité ou le travail forcé, avec un enfant à nourrir en plus. Tellement triste.

Ivanov a joué un rôle important dans le sort des colons. Après tout, beaucoup ont vu ses peintures grâce à des expositions itinérantes.

Déjà dans les années 90 du 19ème siècle, le gouvernement a commencé à soutenir les colons – au moins, prendre soin de leur alimentation et de leur santé sur la route pour que les scènes aussi terribles que dans le tableau “Sur la route. Mort d’un réfugié” ne soient plus possibles.

Bien sûr, un tel combattant pour la justice comme Sergueï Ivanov ne pouvait pas tout simplement ignorer les événements spontanés du soulèvement de décembre 1905.

Sergueï Ivanov. La fusillade.
Sergueï Ivanov. La fusillade. 1905. Musée Centrale d’État d’histoire contemporaine de Russie, Moscou.

Encore une fois, nous voyons les humiliés et offensés. Cette fois, ils ont été abattus sur l’une des places de Moscou. Ivanov semblait avoir peint le son de la mort. Dans l’espace

vide on entend le retentissement des coups de feu, les gémissements des mourants et le rugissement de la foule.

5. Abram Arkhipov

Abram Arkhipov. L’Autoportrait.
Abram Arkhipov. L’Autoportrait. La collection privée

Arkhipov venait d’une famille très pauvre. Mais nous ne voyons presque pas d’histoires tragiques de sa part. De plus, il s’est tourné plus qu’autres ambulants vers L’Impressionnisme. Ce qui, bon gré mal gré, adoucit tout drame.

Mais Arkhipov a le chef-d’œuvre principal “Les Lavandières”, qui s’intègre parfaitement dans le concept des ambulants.

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Une fois, l’artiste est entré par hasard dans le sous-sol d’une maison. Et a vu des pauvres femmes qui s’occupaient du lavage du matin jusque tard le soir.

Il a été extrêmement impressionné par leur travail acharné. Par conséquent, il ne pouvait s’empêcher de créer ses propres «Les Lavandières».

Abram Arkhipov. Les Lavandières
Abram Arkhipov. Les Lavandières. 1901. Galerie Tretiakov, Moscou.

La vieille femme épuisée s’est mise sur le banc. Son bras fin et noueux semble trop miniature pour un travail aussi infernal.

On ne voit pas les visages des jeunes blanchisseuses. Comme si Arkhipov leur donne l’espoir de s’échapper un jour de ce tourbillon éternel de canettes, de savon et de vapeur.

Mais Arkhipov préférait quand même ne pas être triste, alors il représentait plus souvent des femmes heureuses.

Il y avait de nombreuses raisons de tristesse dans cet article. Je vais donc le terminer sur une note plus positive. Portrait d’une paysanne satisfaite et bien habillée.

Abram Arkhipov. La feLa paysanne en rouge.
Abram Arkhipov. La feLa paysanne en rouge. 1919. Musée national d’art de Nijni Novgorod.

L’Association des expositions itinérantes a existé pendant 53 ans (1870-1923). Déjà à la fin du XIXe siècle, ils étaient de plus en plus critiqués et accusés d`être trop „littéraires“ et tragiques.

Et avec l’émergence de la mode pour l’art moderne et non objectif, ils ont complètement cessé de se vendre.

Mais la contribution des Ambulants au développement de l’art russe est colossale. La compétence picturale des artistes travaillant dans une atmosphère libre a atteint des sommets incroyables.

C’est l’une des raisons pour lesquelles de nombreux chefs-d’œuvre de la peinture russe ont été créés précisément dans la seconde moitié du XIXe siècle, à l’aube de l’ère du mouvement itinérant.

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Photos: Wikimedia Commons

Translated by Elena Shakhvorostova

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